L’obligation de réaffecter un employé non performant : applicable au Québec?

12 août 2019

En 2017, la Cour supérieure a rendu la décision Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois. Dans cette affaire, un employé de la Commission scolaire Kativik fut congédié de manière administrative en raison d’incompétence. Avant d’être congédié, son employeur lui avait soumis un plan d’amélioration de la performance s’échelonnant sur trois (3) mois. Toutefois, l’employé en question n’a pas été en mesure de respecter ce plan.

 

La question en litige dans cette affaire concerne l’ajout potentiel d’un critère dans l’analyse d’un congédiement pour rendement insatisfaisant. Un employeur, avant de congédier un employé pour rendement insatisfaisant, a-t-il l’obligation de prendre des mesures raisonnables afin de le réaffecter dans un autre poste de l’entreprise ?

 

À la suite de son analyse, la Cour supérieure jugea, tout comme l’arbitre de grief le fit avant elle, que la décision prise par la Commission scolaire Kativik était déraisonnable. Dans son jugement, le juge Gagnon a déterminé que la Commission scolaire Kativik n’avait pas respecté son obligation de réaffecter son employé dans un autre poste de l’entreprise. Il en a également profité pour mentionner que le critère de la réaffectation, tiré de l’arrêt Edith Cavell Private Hospital c. Hospital Employees’ Union, Local 180 [1], est applicable au droit québécois et que, selon les circonstances et les caractéristiques du poste, la réaffectation de l’employé incompétent doit être considérée de manière raisonnable. Par cette affirmation, le juge Gagnon a donc ajouté un nouveau critère à ceux énumérés dans la décision Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante [2]. Dans cette même décision qui date de 2005, la cour avait également résumé les critères à respecter avant de procéder à un congédiement administratif pour rendement insatisfaisant de la façon suivante :

 

  1. La connaissance des politiques de l’entreprise ainsi que des attentes fixées de l’employé;
  2. Le signalement des lacunes à l’employé;
  3. L’instauration des mesures nécessaires à la correction desdites lacunes;
  4. La mise en place d’un délai raisonnable;
  5. La connaissance du risque de congédiement advenant l’échec des mesures correctionnelles.

 

Toutefois, en 2019, la Cour d’appel du Québec est venue nuancer l’ajout, par la Cour supérieure, d’un sixième critère, soit l’obligation de l’employeur de prendre les mesures raisonnables pour réaffecter un employé incompétent. À cet effet, les juges de la Cour d’appel s’expriment ainsi :

« La question de savoir si un congédiement pour rendement insatisfaisant est justifié au regard des règles pertinentes est contextuelle. Bien qu’on puisse penser qu’un employeur est en droit de mettre fin à l’emploi d’un employé en raison de son incompétence sans devoir identifier au sein de son entreprise un autre emploi disponible compatible avec ses aptitudes, on ne peut exclure qu’en certaines circonstances, un arbitre de griefs pourrait néanmoins conclure au caractère injustifié d’un congédiement administratif vu les particularités de l’affaire et malgré la preuve d’incapacité[3]. »

 

Les juges Bich, Savard et Rancourt ont donc affirmé que le congédiement pour rendement insatisfaisant doit être analysé de manière circonstancielle et que le test tiré de l’arrêt Edith Cavell [4] peut être appliqué, sans toutefois être considéré comme une obligation pour les employeurs. Ainsi, ils confirment également la décision initiale de l’arbitre de grief, tout en précisant qu’un autre juge aurait pu arriver à une conclusion différente en ce qui a trait à la raisonnabilité de la sentence arbitrale puisqu’ « une même situation factuelle peut donner lieu à plusieurs issues raisonnables »[5].

 

À la lumière de cette décision, il est possible de comprendre que les employeurs ont toujours cinq (5) critères à respecter avant de prononcer un congédiement pour rendement insatisfaisant, en plus d’analyser, selon les circonstances, la possibilité d’offrir une réaffectation à l’employé. Les employeurs sont dorénavant appelés à faire preuve de prudence et de diligence quant au congédiement pour rendement insuffisant de leurs employés.

 

[1] Edith Cavell Private Hospital c. Hospital Employees’ Union, Local 180 (1982) 6 L.A.C. (3d) 229 (BC)

[2] Costco Wholesale Canada Ltd c. Laplante 2005 QCCA 788

[3] Commission scolaire Kativik c. Association des employés du Nord québécois 2019 QCCA 961, para 17

[4] Supra note 1

[5] Supra note 3, para 19