Employé municipal : entre loyauté et liberté d’expression

7 janvier 2022

La liberté d’expression est un droit fondamental reconnu à toute personne. Cependant, l’employé municipal est tenu à d’importantes obligations de loyauté et de réserve qui restreignent son droit à la liberté d’expression. Les employeurs doivent donc pondérer les droits en cause avec justesse pour déterminer dans quel cas les critiques et doléances d’un de leurs employés justifient de prendre la voie disciplinaire.

 

L’étendue de l’obligation de loyauté

La Cour suprême, dans l’arrêt N. Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique[1], a consacré le principe voulant qu’un employé ne doit pas, sauf dans des circonstances exceptionnelles, attaquer les décisions d’un corps politique employeur de façon « soutenue et très visible[2] », car cela constitue alors un manque de loyauté fondamentalement incompatible avec ses fonctions.

Dans l’affaire Granby (Ville de) et Fraternité des policiers-pompiers de Granby[3], l’arbitre Me Claude Fabien interprète les principes dégagés par la Cour suprême en contexte municipal spécifiquement. Il conclut notamment que lorsque l’employeur est un corps politique, l’employé doit éviter d’agir contrairement aux intérêts de son employeur, et ce en évitant de poser toute action qui pourrait diminuer la confiance du public dans les décisions et actions du corps politique et entraver l’efficacité avec laquelle le corps politique poursuit sa mission d’intérêt public.

L’arbitre précise qu’une institution publique n’est pas un employeur comme les autres; les employés sont soumis à une obligation de réserve et de respect de l’institution et doivent éviter d’exprimer publiquement leurs opinions politiques. Ces obligations font partie de l’obligation générale de loyauté qui s’applique à tout employé et visent à préserver la confiance de l’employeur et des citoyens envers le fonctionnaire ainsi que la confiance générale des citoyens en l’institution publique.

 

Quelques exemples jurisprudentiels

  • Un policier a obtenu une suspension de dix (10) jours en manifestant son opposition à l’égard de diverses décisions du conseil municipal dans une lettre publiée au journal de la Ville et signée en son nom personnel. L’argument soulevé par le policier à l’effet qu’il revendique sa liberté d’opinion politique à titre de citoyen n’est pas retenu. La lettre contenait des propos remettant en question l’intégrité et la compétence du maire. Sa suspension fut réduite à cinq (5) jours.[4]

 

  • Un policier a obtenu une suspension de dix (10) jours en remettant une lettre au maire et aux conseillers contenant des propos qualifiés d’inacceptables à l’égard d’une conseillère et de quatre citoyens. La lettre est signée à titre d’ancien bénévole d’un club de hockey. La suspension est maintenue.[5]

 

  • Un cadre employé par une ville est destitué après avoir tenu des propos méprisants et accusateurs à l’endroit de collègues et dirigeants de la ville pendant plusieurs années. Sa destitution est maintenue.[6]

 

  • Un agent de bureau d’un service de ressources humaines d’une ville est congédié pour avoir publié des propos excessifs et irrespectueux en lien avec la décision de la ville d’euthanasier un pitbull ayant attaqué deux citoyens sur sa page Facebook et le site de l’employeur. Son congédiement est modifié en suspension de six (6) mois.[7]

 

  • Un journalier-chauffeur occasionnel pour une municipalité est congédié après avoir composé et publié sur sa page Facebook une chanson grossière faisant référence à son supérieur immédiat et au maire. La vidéo se termine par un geste dégradant. Son congédiement est modifié en suspension de six (6) mois.[8]

 

Ainsi, toute décision disciplinaire faisant suite à une critique publique d’un employé municipal nécessite une analyse prudente des circonstances et des facteurs atténuants et aggravants.

 

L’équipe de droit du travail chez RPGL avocats est à votre disposition pour toute question relative aux droits des employeurs concernant les manquements perpétrés par leurs employés.

[1] N. Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, (1985) 2 RCS 455.

[2] Idem, para 41.

[3] Granby (Ville de) et Fraternité des policiers-pompiers de Granby (T.A., 2003-07-09, SOQUIJ AZ-03142118, D.T.E. 2003T-800.

[4] Idem.

[5] Fraternité des policiers de Granby et Ville de Granby, (T.A., 2004-06-11), SOQUIJ AZ-50256933.

[6] Lavoie c. Ville de Québec, 2021 QC TAT 1503 (requête en révision déposée).

[7] Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP- 429) et Montréal (Ville de), (Jean-François Levasseur), (T.A., 2014-10-22), 2014 QCTA 902.

[8] Le syndicat des travailleuses et travailleurs de la municipalité de Weedon – CSN c. La municipalité de Weedon, 2016 QCTA 165.