La Cour canadienne de l’impôt tranche en faveur de travailleurs étrangers

28 May 2019

Des militants saluent une récente décision de la Cour canadienne de l’impôt qui reconnaît aux travailleurs étrangers du Québec le droit de bénéficier de l’assurance-emploi, même s’ils ne possèdent pas un permis de travail valide.

La décision rendue plus tôt ce mois-ci découle de la cause de 18 travailleurs temporaires originaires du Guatemala, qui avaient fait appel de la décision initiale selon laquelle leurs gains n’étaient pas assurables.

Le groupe de Guatémaltèques — recrutés dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires — a été victime d’une fraude. Des entreprises de placement québécoises leur avaient indiqué qu’ils pourraient travailler pour différents employeurs, alors qu’en règle générale, les travailleurs en provenance de l’extérieur du pays doivent demeurer à l’emploi de la compagnie figurant sur leur documentation.

Ils avaient finalement été forcés de chercher un autre travail après que leur employeur n’eut pas respecté les conditions énoncées dans leur permis.

L’Agence du revenu du Canada considère que ces heures n’étaient pas assurables, car elles n’ont pas été réalisées au service des entreprises convenues.

Mais dans une décision rendue le 10 mai dernier, le juge Alain Tardif a tranché que leur travail est en fait assurable en vertu de la loi, étant donné l’obligation de l’État à garantir la sécurité sociale de tous les travailleurs.

Bien que la principale question le préoccupant était celle de l’admissibilité à l’assurance-emploi, le magistrat a tenu à souligner que les Guatémaltèques ont été « victimes d’une organisation dont l’objectif ultime était de s’enrichir à leur détriment ; parasite, sans scrupule, voire criminelle ».

Dans un jugement complexe de 48 pages, le juge Tardif a relevé que ces hommes vulnérables espéraient simplement améliorer leur situation et celle de leur famille, et il a exhorté le gouvernement à en faire plus pour assurer leur bien-être.

« Sur cette question, j’ouvre la parenthèse à l’effet qu’il m’apparaît totalement inacceptable de laisser de tels travailleurs saisonniers à eux-mêmes », a-t-il écrit.

« Il est urgent et impératif que l’État mette sur pied une organisation avec les ressources nécessaires pour rejoindre tous les travailleurs saisonniers ou tout au moins préparer une trousse écrite dans la langue des intéressés pour permettre à ces derniers de connaître leurs droits et obligations permettant ainsi aux travailleurs saisonniers d’obtenir des réponses à leurs problèmes ou préoccupations et cela, avant leur arrivée, lors de l’arrivée et tout au long de leur séjour au Canada. »

Ailleurs au Canada, la Cour d’appel fédérale avait traité la question en 1998 et environ deux décennies de jurisprudence se sont ajoutées en appui à sa décision.

Mais au Québec, les règles avaient été interprétées différemment en vertu du code civil de la province, explique l’un des avocats représentant les travailleurs guatémaltèques.

« Même s’il s’agit de l’assurance-emploi et d’une compétence fédérale, au Québec, ils interprètent toujours la notion de contrat de travail d’une manière spécifique au droit civil plutôt qu’à la common law », précise Richard-Alexandre Laniel, de l’Association des juristes progressistes.

« Ce qui s’est passé avec cette décision, c’est que le juge a décidé dans un contexte de droit civil que nous pouvons déterminer dans certaines circonstances que les travailleurs migrants qui n’ont pas de permis de travail valide peuvent toujours rendre leurs heures travaillées assurables dans le cadre de la loi sur l’assurance-emploi », expose-t-il.

Des militants pour les droits des travailleurs étrangers ont appelé à la fin des permis limités à un seul employeur. Cette disposition, conjuguée aux barrières linguistiques et aux préoccupations liées à la perte d’emploi, rend les travailleurs étrangers réticents à porter plainte.

« Il est un peu tôt pour déterminer l’impact que cette décision aura sur les pratiques de l’ARC [Agence du revenu du Canada], affirme Me Laniel. Mais nous pensons qu’ils devraient adopter une approche plus flexible en ce qui concerne les travailleurs migrants. »

Les avocats du gouvernement fédéral ont 30 jours pour faire appel. Ils n’ont pas immédiatement répondu à une demande de commentaire de La Presse canadienne.

 

Source: Le Devoir