Le #MOIAUSSI dans l’optique d’un employeur

12 mars 2018

Au cours de la dernière année, les dénonciations d’inconduites sexuelles se sont multipliées à la suite de l’apparition du #moiaussi. Ces évènements ont fait en sorte que plusieurs se posent des questions à savoir comment réagir face à de telles allégations et comment gérer les répercussions qui peuvent en découler. Parmi ces personnes on retrouve les employeurs qui, dans le cas où l’un de leurs salariés fait l’objet d’une dénonciation, peuvent se demander quelles sont les mesures devant être prises à l’égard de l’employé visé. Ont-ils le pouvoir de le congédier immédiatement?

Mesures préventives

Le principe, à ce sujet, a été élaboré dans l’arrêt Cabiakman de la Cour suprême du Canada qui conclut que l’employeur dispose d’un pouvoir de suspension administrative, lui permettant de faire la lumière à propos des faits portés à sa connaissance et ainsi éviter de prendre une décision hâtive. Par contre, pour être valide, la mesure administrative doit notamment avoir pour objectif de protéger les intérêts légitimes de l’entreprise, ce qui comprend sa réputation. De plus, elle doit être d’une durée déterminée ou déterminable et rémunérée à moins de circonstances exceptionnelles.

En effet, une suspension sans solde peut être justifiée si l’employé visé par la dénonciation fait l’objet d’accusations criminelles et qu’il existe un lien entre ses fonctions et les accusations. Le lien entre les fonctions de l’employé et les accusations est établi lorsque les accusations portent atteinte à l’intégrité de l’employé ou sont de nature à nuire à son efficacité, à son utilité ou aux intérêts de l’entreprise. À titre d’exemple, un employeur serait justifié de suspendre sans solde son employé, travaillant avec des jeunes, contre qui des accusations criminelles ont été déposées et qui s’est vu interdire les contacts avec des mineurs.

Outre une suspension administrative, un employeur peut aussi interdire à son employé de communiquer avec d’autres employés ou avec la présumée victime ou interdire complètement de se présenter sur les lieux du travail. Il est important de garder à l’esprit que ces mesures sont préventive et non punitive puisqu’une enquête s’avère encore nécessaire afin d’en confirmer le bien-fondé. Par contre, vu l’obligation qu’a l’employeur d’assurer la santé, la sécurité et l’intégrité de ses employés, en plus d’offrir un milieu de travail exempt de harcèlement, il faut qu’une de ces mesures soit prise à la suite d’une dénonciation.

Enquête

Le devoir d’agir de bonne foi oblige un employeur à donner l’opportunité à son employé de s’expliquer et de donner sa version des faits avant qu’il ne prenne une décision à son sujet. Il est donc primordial de rencontrer l’employé visé, et ce, malgré la certitude de la présence d’une inconduite sexuelle. Lors de cette rencontre, l’employé doit collaborer avec franchise et diligence et n’a pas droit à la présence d’un avocat, sauf dans l’hypothèse où une convention collective ou un contrat de travail stipule le contraire.

En ce qui concerne les autres salariés, ils ont un devoir de loyauté envers leur employeur. Pour cette raison, ils doivent eux aussi collaborer à l’enquête en divulguant toute information dont ils disposent.

Dans l’éventualité où l’enquête d’un employeur coexiste avec une enquête criminelle en cours, il est à noter qu’il est possible pour l’employeur de continuer ses démarches étant donné l’absence de préséance de l’enquête policière, sauf certaines exceptions, telles que celles parfois prévues à une convention collective.

À la fin de l’enquête, la dénonciation s’avérera non fondée ou fondée. Dans le premier cas, il sera pertinent d’enclencher un processus en ressources humaines afin de stabiliser la situation et peut-être même de participer à des séances de médiation ou de conciliation avec l’employé qui fût accusé injustement. Dans le second cas, il sera nécessaire d’imposer une mesure disciplinaire proportionnellement au cas d’espèce. Ainsi, il ne s’agira pas forcément d’un congédiement, puisque le tout dépendra des facteurs atténuants et aggravants tels que le nombre de victimes, les remords sincères et la nature des fonctions occupées.

Bref, congédier immédiatement l’employé visé n’est pas la chose à faire. Bien qu’il s’agisse d’une situation complexe, un employeur se doit de réagir rapidement, de soutenir les présumées victimes, d’effectuer une enquête rigoureuse et complète et de prendre tous les moyens à sa disposition pour ne pas céder à la pression entourant ce genre de dossier. Chaque dénonciation doit être analysée selon ces propres circonstances et de la manière la plus impartiale possible. Pour y arriver et afin d’éviter de faire des erreurs, prévoir un plan d’intervention spécifique à ce type d’évènement pourra être grandement utile lorsqu’une dénonciation touche l’un de vos employés.